Russie : la face cachée de l’illégalité
3 juin 2011 2 CommentairesSource : GlobalVoices
Le 3 avril 2011, dans une banlieue endormie de Moscou, Natalia Seibel décidait de sortir promener son chien. Alors qu’elle marchait, une Land Cruiser bleue s’est arrêtée à côté d’elle et le conducteur ivre a tenté de flirter avec Natalya. Natalya l’a ignoré, mais il a sauté de la voiture, l’a attrapée par les cheveux, et lui a donné un coup de poing dans la figure. Son agresseur ? Nul autre que le chef de la brigade des enquêtes criminelles de Moscou.
Nous entendons souvent des histoires sur ce genre d’abus de la part d’officiels en Russie. En fait, récemment, le prix Pulitzer a été attribué à une brillante série d’articles parue dans le New York Times mettant l’accent sur ce sujet même : le rôle obscur de l’État russe dans la répression des journalistes, des hommes d’affaires et des citoyens. Et, sans doute, il y a beaucoup de vérité dans tout cela. Un récent sondage suggère que près de la moitié des Russes ne font pas confiance à la police et près d’un tiers la craignent réellement.
Il y quelque chose de nouveau dans la jungle russe, cependant. En effet, à l’aide d’un appareil photo numérique et d’une copie d’une loi en vigueur, certains jeunes militants russes ont mis en évidence un autre aspect de l’exercice arbitraire du pouvoir en Russie. Ces blogueurs – dont beaucoup donnent une place importante à la photographie sur leurs blogs – ont fait leur la mission de dénoncer comme illégale l’interdiction de photographies dans de nombreux supermarchés et les centres privés de Russie.
Ilya Varlamov et Dmitry Ternovsky, photo-activistes connus, ont pris les devants de cette contestation contre les interdictions, dans un supermarché à Perekryostok, au sein du Centre commercial Evropeyskiy près de la gare Kievsky et du quartier d’affaires Moscow-City. Après quelques minutes passées à prendre des photos dans les deux endroits, ils ont été approchés par des vigiles leur disant qu’ils n’étaient pas autorisés à le faire. Dans les deux cas, les vigiles ont été totalement indifférents à la légalité de cette interdiction, leur principal intérêt étant de veiller au respect de leurs propres règles “privés”.
A Moscow-City [russe], quand il est devenu clair qu’Ilya et Dmitry n’allaient pas partir, les vigiles – qu’Ilya a par la suite identifiés comme des salariés d’un consortium de construction turc nommée ENKA – ont usé de menaces verbales et physiques pour les forcer à s’en aller. Un échange typique s’est déroulé comme suit :
– Я имею право попросить вас не снимать здесь, – грозно сказал мужчина в костюме.
– Это незаконные требования! – уверенно парировал я мужчине в костюме,
– Вы знаете что, ребят, это частная территория! – стоял на своем мужчина в костюме…
– И что? У вас законы РФ не действуют? – поинтересовался я,
– Здесь многие законы не действуют! – шокировал нас своим ответом мужчина в костюме,
– “C’est une demande illégale”, j’ai [Varlamov] riposté en retour avec assurance à l’endroit de l’homme en costume.
– “Vous savez quoi, les gars, c’est une propriété privée”, a dit l’homme en costume fermement.
– “Et alors ? Les lois de la Fédération de Russie ne sont pas en vigueur ici ?”, j’ai dit, intéressé.
– “Beaucoup de lois ne sont pas en vigueur ici”, a répondu l’homme en costume, nous choquant avec sa réponse.
Après l’arrivée de la police, les vigiles ont été beaucoup plus “polis”. Ilya a déposé une plainte contre l’un des vigiles pour voies de fait, à laquelle la police n’a jamais donné suite.
Au Perekryostok/Evropeyskiy, Ilya et Dmitry ont de nouveau eu affaire [russe] à une phalange de vigiles menaçants en colère. L’un d’eux les a apostrophés :
Ты вообще знаешь, кто владелец этого торгового центра? Ты думаешь, он сюда с воздуха упал? Нет, он не с воздуха, он из-под земли вырос! Ты же все понимаешь, ты сейчас на улицу выйдешь, тебе не камеру разобьют, тебе шею сломают, а менты смотреть будут и ничего не увидят. И никогда ты тут ничего не докажешь. У нас тут район такой, опасный, вокзал… понимаешь?
Quand la police est finalement arrivée, les vigiles ont cessé leurs intimidations physiques et verbales. Un policier a ensuite prétendu arrêter Ilya et Dmitry, mais les a relâchés dès qu’ils ont été à l’extérieur du magasin. Il leur a dit :
Хорошо, пройдемте. Ну и зачем вы с ними спорили? Вы что, не видели, кто это такие? Зачем вы нарываетесь! – это говорит мне сотрудник полиции, который от таких “бандитов” должен нас защищать.
Le policier a apparemment pensé qu’il faisait une faveur à Ilya et Dmitry. Comme Ilya a commenté :
Как мне показалось, полиция не особо хочет спорить с охраной ТЦ, . . .Видимо владелец установил здесь свои законы, против которых господа полицейские идти не могут.
A Krasnoyarsk, deux photo-blogueurs ont tenté de faire la même chose [russe] dans un supermarché local. Après avoir eu à faire face à des vigiles privés, ils ont insisté, disant qu’ils avaient le droit de prendre des photos et ont exigé que la police soit appelée. La police a refusé de les arrêter, reconnaissant qu’ils avaient le droit de prendre ces photos. Après le départ des policiers, cependant,
…из подсобки выскочил взъерошенный мужчина в спортивном костюме, который представившись начальником службы контроля, резво попытался вырвать у приехавшего в самый разгар разбирательства Коновалова видеокамеру. После чего он набросился на меня с кулаками.
Ces rencontres révèlent une face cachée du problème russe, le non respect des lois : des particuliers – souvent associés à des intérêts commerciaux puissants – sans aucun respect pour le droit et appliquant leurs propres lois privées presque exclusivement par la force (ou la menace d’utilisation de la force). Ces acteurs non étatiques, de l’ombre, sont un symptôme de l’état faible et corrompu en Russie et un signe puissant d’un appareil gouvernemental où le bras du gouvernement a une longueur limitée ou cooptée.
Il y a près de quinze ans, le célèbre politologue Stephen Holmes remarquait :
Aujourd’hui, la Russie démontre d’une façon atrocement claire que les valeurs libérales sont menacées aussi bien par l’incapacité de l’État que par le pouvoir despotique. La “dénationalisation” n’est pas la solution, c’est le problème. Car, sans un pouvoir public d’un certain genre qui fonctionne bien, il n’y aura pas de prévention des dommages mutuels, pas de sécurité personnelle, et pas de “règles pour vivre”, pour reprendre une expression de Locke.
Les expériences de ces photo-militants nous rappellent que la lutte contre le chaos et l’illégalité en Russie est autant une question de faire la loi pour les puissants intérêts privés que pour les fonctionnaires.
Ecrit par Will Partlett · Traduit par Rayna St.
Traduction publiée le 2 Juin 2011 19:03 GMT
Merci pour cette information interessante
нужно проверить 🙂